TÉMOIGNAGE D’UN CHRÉTIEN À MAYOTTE
En tant que militaire de la gendarmerie actuellement déplacé à Mayotte, ma mission consiste au maintien de l’ordre public sur cette petite île de l’archipel des Comores, actuellement en proie à de nombreuses difficultés telles que, la pauvreté, l’immigration massive et clandestine, ou même encore les catastrophes climatiques. C’est un premier défi à relever.
Le second lui, est de vivre en tant que chrétien sur une île composée à 95 % de musulmans. En effet, le décor n’a rien à voir avec celui de la métropole. Nos flèches gothiques et le son des cloches ont été remplacées par les minarets et les appels du muezzin. Ici, le jeûne n’est pas celui du carême, mais celui du ramadan. Me voilà donc privé de ce paysage que je chéris tant. Mon jeûne, en ce carême 2025, sera donc celui de la chrétienté.
Malgré les dégâts causés par le cyclone Chido, la seule église catholique de grande-terre, située à Mamoudzou, est restée miraculeusement debout. La messe y est régulièrement célébrée et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle est haute en couleurs ! Les applaudissements, les danses, les chorales mahoraises et le prêtre qui harangue l’assemblée, contraste avec la misère de l’île. Trop bruyante à mon goût, je préfère la messe célébrée par l’aumonier du régiment militaire, plus propice au recueillement et à l’adoration. Nostalgique de la métropole, elle m’offre une véritable bouffée d’air frais.
Bien qu’il n’y ait pas beaucoup de choix dans la pratique de la foi, cette disette cultuelle ne doit en aucun cas nous décourager ni même nous empêcher de répandre la bonne nouvelle, bien au contraire. Cependant, il faut garder à l’esprit que le statut de militaire rend l’évangélisation délicate auprès de la population. En effet, très facilement identifiable, parfois perçu comme un colon, souvent comme un étranger, le gendarme n’a pas son mot à dire sur le bon fonctionnement de l’île, surtout quand il s’agit d’un sujet aussi sensible que celui de l’identité culturelle. Il risquerait à tort d’être accusé d’ingérence civilisationnelle. Les quelques chrétiens autochtones sont donc les plus légitimes pour convertir leurs frères.
Mon travail d’évangélisation se porte alors naturellement vers mes camarades qui, pour la très grande majorité, ne croient pas. En effet, dans mon détachement composé d’environ une quarantaine gendarmes, je suis le seul croyant pratiquant. Pendant plusieurs mois, j’ai par conséquent reçu le même traitement que chaque société humaine inflige aux marginaux. Mais avec le temps, et face à mon opiniâtreté, les railleries et les provocations se sont lentement muées en questionnements sincères et profonds. La seule pratique d’une foi honnête et dénuée de prosélytisme, suffit à interpeler l’entourage. Nul besoin de provoquer le destin. Les discussions au sujet de Dieu émergent naturellement, souvent autour d’un repas ou d’une bière, et sont majoritairement l’initiative des plus jeunes qui, pour la plupart, sont en quête d’ordre et de repères dans un monde qui part à vau-l’eau. À part écouter et répondre au mieux à leurs interrogations, je n’ai rien d’autre à faire.
Voilà donc mon quotidien de chrétien à Mayotte où tant bien que mal j’essaie, comme le disait Saint-François de Sales, de fleurir là où Dieu m’a planté.